Popular Tales - Part 13
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Part 13

De joye & de douleur l'Infante penetree Ne scait que dire ni comment Se derober a son engagement.

Princesse demandez-en une, Lui dit sa Maraine tout bas, Qui plus brillante & moins commune, Soit de la couleur de la Lune Il ne vous la donnera pas.

A peine la Princesse en eut fait la demande Que le Roi dit a son Brodeur, Que l'astre de la Nuit n'ait pas plus de splendeur Et que dans quatre jours sans faute on me la rende.

Le riche habillement fut fait au jour marque Tel que le Roy s'en etoit explique Dans les Cieux ou la Nuit a deploye ses voiles, La Lune est moins pompeuse en sa robe d'argent Lors meme qu'au milieu de son cours diligent Sa plus vive clarte fait palir les etoiles.

La Princesse admirant ce merveilleux habit Estoit a consentir presque deliberee, Mais, par sa Maraine inspiree Au Prince amoureux elle dit, Je ne scaurois etre contente Que je n'aye une Robe encore plus brillante Et de la couleur du Soleil; Le Prince qui l'aimoit d'un amour sans pareil Fit venir aussi-tot un riche Lapidaire Et lui commanda de la faire D'un superbe tissu d'or & de diamans, Disant que s'il manquoit a le bien satisfaire, Il le feroit mourir au milieu des tourmens.

Le Prince fut exempt de s'en donner la peine, Car l'ouvrier industrieux, Avant la fin de la semaine Fit apporter l'ouvrage precieux Si beau, si vif, si radieux Que le blond Amant de Climene Lorsque sur la voute des Cieux Dans son char d'or il se promene D'un plus brillant eclat n'eblouit pas les yeux.

L'Infante que ces dons achevent de confondre A son Pere, a son Roi ne scait plus que repondre; Sa Maraine aussi-tot la prenant par la main, Il ne faut pas, lui dit-elle a l'oreille, Demeurer en si beau chemin, Est-ce une si grande merveille Que tous ces dons que vous en recevez Tant qu'il aura l'Asne que vous scavez Qui d'ecus d'or sans cesse emplit sa bource; Demandez-lui la peau de ce rare Animal, Comme il est toute sa resource, Vous ne l'obtiendrez pas, ou je raisonne mal.

Cette Fee etoit bien scavante, Et cependant elle ignoroit encor Que l'amour violent pourvu qu'on le contente, Conte pour rien l'argent & l'or; La peau fut galamment aussi tot accordee Que l'Infante l'eut demandee.

Cette Peau quand on l'apporta Terriblement l'epouvanta Et la fit de son sort amerement se plaindre, Sa Maraine survint & lui representa Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre; Qu'il faut laisser penser au Roy Qu'elle est tout a fait disposee A subir avec lui la conjugale Loi; Mais qu'au meme moment seule & bien deguisee Il faut qu'elle s'en aille en quelque Etat lointain Pour eviter un mal si proche & si certain.

Voici, poursuivit-elle, une grande ca.s.sette Ou nous mettrons tous vos habits Votre miroir, votre toillette, Vos diamans & vos rubis.

Je vous donne encor ma Baguette; En la tenant en votre main La ca.s.sette suivra votre meme chemin.

Toujours sous la Terre cachee; Et lorsque vous voudrez l'ouvrir A peine mon baton la Terre aura touchee Qu'aussi-tot a vos yeux elle viendra s'offrir.

Pour vous rendre meconnaissable La depouille de l'Asne est un masque admirable Cachez-vous bien dans cette peau, On ne croira jamais, tant elle est effroyable Qu'elle renferme rien de beau.

La Princesse ainsi travestie De chez la sage Fee a peine fut sortie, Pendant la fraicheur du matin Que le Prince qui pour la Fete De son heureux Hymen s'apprete Apprend tout effraye son funeste destin.

Il n'est point de maison, de chemin, d'avenue Qu'on ne parcoure promptement, On ne peut deviner ce qu'elle est devenue.

Par tout se repandit un triste & noir chagrin Plus de Nopces, plus de Festin, Plus de Tarte, plus de Dragees, Les Dames de la Cour toutes decouragees N'en dinerent point la plupart; Mais du Cure sur tout la tristesse fut grande, Car il en dejeuna fort tard Et qui pis est n'eut point d'offrande.

L'Infante cependant poursuivoit son chemin Le visage couvert d'une vilaine cra.s.se A tous Pa.s.sans elle tendoit la main Et tachoit pour servir de trouver une place; Mais les moins delicats & les plus malheureux La voyant si maussade & si pleine d'ordure Ne vouloient ecouter ni retirer chez eux Une si sale creature.

Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin, Enfin elle arriva dans une Metairie Ou la Fermiere avoit besoin D'une souillon, dont l'industrie Allat jusqu'a scavoir bien laver des torchons Et nettoyer l'auge aux Cochons.

On la mit dans un coin au fond de la cuisine Ou les Valets, insolente vermine, Ne faisoient que la tirailler, La contredire & la railler, Ils ne scavoient quelle piece lui faire La harcelant a tout propos; Elle etoit la b.u.t.te ordinaire De tous leurs quolibets & de tous leurs bons mots.

Elle avoit le Dimanche un peu plus de repos, Car ayant du matin fait sa pet.i.te affaire, Elle entroit dans sa chambre & tenant son huis clos, Elle se decra.s.soit, puis ouvroit sa ca.s.sette, Mettoit proprement sa toilette Rangeoit dessus ses pet.i.ts pots, Devant son grand miroir contente & satisfaite; De la Lune tantot, la robe elle mettoit Tantot celle ou le feu du Soleil eclattoit, Tantot la belle robe blue Que tout l'azur des Cieux ne scauroit egaler, Avec ce chagrin seul que leur trainante queue Sur le plancher trop court ne pouvoit s'etaler.

Elle aimoit a se voir jeune, vermeille & blanche Et plus brave cent fois que nulle autre n'etoit; Ce doux plaisir la sustentoit Et la menoit jusqu'a l'autre Dimanche.

J'oubliois a dire en pa.s.sant Qu'en cette grande Metairie D'un Roy magnifique & puissant Se faisoit la Menagerie, Que la, Poules de Barbarie, Rales, Pintades, Cormorans, Oisons musquez, Cannes Petieres Et mille autres oiseaux de bijares manieres, Entre eux presque tous differents Remplissoient a l'envi dix cours toutes entieres.

Le fils du Roy dans ce charmant sejour Venoit souvent au retour de la Cha.s.se Se reposer, boire a la glace Avec les Seigneurs de sa Cour.

Tel ne fut point le beau Cephale; Son air etoit Royal, sa mine martiale Propre a faire trembler les plus fiers bataillons; Peau d'Asne de fort loin le vit avec tendresse Et reconnut par cette hardiesse Que sous sa cra.s.se & ses haillons Elle gardoit encor le coeur d'une Princesse.

Qu'il a l'air grand, quoi qu'il l'ait neglige, Qu'il est aimable, disoit-elle, Et que bienheureuse est la belle A qui son coeur est engage.

D'une robe de rien s'il m'avoit honoree.

Je m'en trouverois plus paree Que de toutes celles que j'ai.

Un jour le jeune Prince errant a l'aventure De ba.s.secour en ba.s.secour, Pa.s.sa dans une allee obscure Ou de Peau d'Asne etoit l'humble sejour.

Par hasard il mit l'oeil au trou de la serrure; Comme il etoit fete ce jour Elle avoit pris une riche parure Et ses superbes vetemens Qui tissus de fin or & de gros diamans Egaloient du Soleil la clarte la plus pure.

Le Prince au gre de son desir La contemple & ne peut qu'a peine, En la voyant, reprendre haleine, Tant il est comble de plaisir.

Quels que soient les habits, la beaute du visage, Son beau tour, sa vive blancheur, Ses traits fins, sa jeune fraicheur Le touchent cent fois davantage, Mais un certain air de grandeur Plus encore une sage & modeste pudeur Des beautez de son ame, a.s.seure temoignage, S'emparerent de tout son coeur.

Trois fois dans la chaleur du feu qui le transporte Il voulut enfoncer la porte, Mais croyant voir une Divinite, Trois fois par le respect son bras fut arrete, Dans le Palais pensif il se retire Et la nuit & jour il soupire, Il ne veut plus aller au Bal Quoi qu'on soit dans le Carnaval, Il hait la Cha.s.se, il hait la Comedie Il n'a plus d'appet.i.t, tout lui fait mal au coeur Et le fond de sa maladie Est une triste & mortelle langueur.

Il s'enquit quelle etoit cette Nymphe admirable Qui demeuroit dans une ba.s.secour Au fond d'une allee effroyable, Ou l'on ne voit goutte en plein jour.

C'est, lui dit-on, Peau d'Asne, en rien Nymphe ni bele Et que Peau d'Asne l'on appelle, A cause de la peau qu'elle met sur son cou; De l'Amour c'est le vrai remede, La bete en un mot la plus laide, Qu'on puisse voir apres le Loup: On a beau dire, il ne scauroit le croire, Les traits que l'amour a tracez Toujours presens a sa memoire N'en seront jamais effacez.

Cependant la Reyne sa Mere, Qui n'a que lui d'enfant pleure & se desespere, De declarer son mal elle le presse en vain, Il gemit, il pleure, il soupire, Il ne dit rien, si ce n'est qu'il desire Que Peau d'Asne lui fa.s.se un gateau de sa main; Et la Mere ne scait ce que son Fils veut dire; O Ciel! Madame, lui dit-on, Cette Peau d'Asne est une noire Taupe Plus vilaine encore & plus gaupe Que le plus sale Marmiton.

N'importe, dit la Reyne, il le faut satisfaire, Et c'est a cela seul que nous devons songer; Il auroit eu de l'or, tant l'aimoit cette Mere, S'il en avoit voulu manger.

Peau d'Asne donc prend sa farine Qu'elle avoit fait blutter expres, Pour rendre sa pate plus fine, Son sel, son beurre & ses oeufs frais, Et pour bien faire sa galette S'enferme seule en sa chambrette.

D'abord elle se decra.s.sa Les mains, les bras & le visage, Et prit un corps d'argent que vite elle laca Pour dignement faire l'ouvrage, Qu'aussi-tot elle commenca.

On dit qu'en travaillant un peu trop a la hate, De son doigt par hazard il tomba dans la pate Un de ses anneaux de grand prix, Mais ceux qu'on tient scavoir le fin de cette histoire a.s.seurent que par elle expres il y fut mis; Et pour moi franchement, je l'oserois bien croire, Fort seur que quand le Prince a sa porte aborda Et par le trou la regarda, Elle s'en etoit appercue.

Sur ce point la Femme est si drue, Et son oeil va si promptement Qu'on ne peut la voir un moment, Qu'elle ne scache qu'on l'a veue.

Je suis bien seur encore, et j'en ferois serment Qu'elle ne douta point que de son jeune Amant La Bague ne fut bien receue.

On ne petrit jamais un si friand morceau, Et le Prince trouva la galette si bonne Qu'il ne s'en fallut rien que d'une faim gloutonne Il n'avalat aussi l'anneau.

Quand il en vit l'emeraude admirable, Et du jonc d'or le cercle etroit, Qui marquoit la forme du doigt, Son coeur en fut touche d'une joye incroyable; Sous son chevet il le mit a l'instant Et son mal toujours augmentant Les Medecins sages d'experience, En le voyant maigrir de jour en jour Jugerent tous par leur grande science Qu'il etoit malade d'amour.

Comme l'Hymen, quelque mal qu'on en die, Est un remede exquis pour cette maladie, On conclut a le marier; Il s'en fit quelque tems prier, Puis dit, je le veux bien, pourvu que l'on me donne En mariage la personne Pour qui cet anneau sera bon; A cette bijare demande De la Reine & du Roi la surprise fut grande, Mais il etoit si mal qu'on n'osa dire non.

Voila donc qu'on se met en quete De celle que l'anneau, sans nul egard du sang, Doit placer dans un si haut rang, Il n'en est point qui ne s'apprete A venir presenter son doigt Ni qui veuille ceder son droit.

Le bruit ayant couru que pour pretendre au Prince, Il faut avoir le doigt bien mince, Tout Charlatan, pour etre bien venu, Dit qu'il a le secret de le rendre menu, L'une en suivant son bizare caprice Bomme une rave le ratisse, L'autre en couppe un pet.i.t morceau, Une autre en le pressant croit qu'elle l'appetisse, Et l'autre avec de certaine eau Pour le rendre moins gros en fait tomber la peau; Il n'est enfin point de manoeuvre Qu'une Dame ne mette en oeuvre, Pour faire que son doigt quadre bien a l'anneau.

L'essai fut commence par les jeunes Princesses Les Marquises & les d.u.c.h.esses, Mais leurs doigts quoi que delicats Estoient trop gros & n'entroient pas.

Les Comtesses & les Baronnes, Et toutes les n.o.bles Personnes, Comme elles tour a tour presenterent leur main Et la presenterent en vain.

Ensuite vinrent les Grisettes, Dont les jolis & menus doigts, Car il en est de tres-bien faites, Semblerent a l'anneau s'ajuster quelquefois Mais la Bague toujours trop pet.i.te ou trop ronde D'un dedain presque egal reb.u.t.toit tout le monde.

Il fallut en venir enfin Aux Servantes, aux Cuisinieres, Aux Tortillons, aux Dindonnieres; En un mot a tout le fretin, Dont les rouges & noires pattes, Non moins que les mains delicates Esperoient un heureux destin.

Il s'y presenta mainte fille Dont le doigt gros & rama.s.se, Dans la Bague du Prince eut aussi peu pa.s.se Qu'un cable au travers d'une aiguille.

On crut enfin que c'etoit fait, Car il ne restoit en effet, Que la pauvre Peau d'Asne au fond de la cuisine, Mais comment croire, disoit-on, Qu'a regner le Ciel la destine, Le Prince dit, & pourquoi non?

Qu'on la fa.s.se venir. Chacun se prit a rire Criant tout haut que veut-on dire, De faire entrer ici cette sale guenon Mais lorsqu'elle tira de dessous sa peau noire Une pet.i.te main qui sembloit de l'yvoire, Qu'un peu de pourpre a colore, Et que de la bague fatale, D'une justesse sans egale Son pet.i.t doigt fut entoure, La Cour fut dans une surprise Qui ne peut pas etre comprise.

On la menoit au Roi dans ce transport subit, Mais elle demanda qu'avant que de paraitre Devant son Seigneur & son Maitre On lui donnat le temps de prendre un autre habit, De cet habit, pour la verite dire, De tous cotez on s'appretoit a rire, Mais lorsqu'elle arriva dans les Appartemens Et qu'elle eut traverse les salles Avec ses pompeux vetemens Dont les riches beautez n'eurent jamais d'egales, Que ses aimables cheveux blonds Melez de diamans dont la vive lumiere En faisoit autant de rayons, Que ses yeux bleus, grands, doux & longs, Qui pleins d'une Majeste fiere Ne regardent jamais sans plaire & sans blesser, Et que sa taille enfin si menue & si fine Qu'avecque ses deux mains on eut pu l'embra.s.ser, Montrerent leurs appas & leur grace divine; Des Dames de la Cour, & de leurs ornemens Tomberent tous les agremens.

Dans la joye & le bruit de toute l'a.s.semblee, Le bon Roi ne se sentoit pas De voir sa Bru posseder tant d'appas, La Reyne en etoit affolee, Et le Prince son cher Amant, De cent plaisirs l'ame comblee Succomboit sous le poids de son raviss.e.m.e.nt.

Pour l'Hymen aussitot chacun prit ses mesures, Le Monarque en pria tous les Rois d'alentour, Qui tous brillans de diverses parures Quitterent leurs Etats pour etre a ce-grand jour On en vit arriver des climats de l'Aurore, Montez sur de grands Elephans, Il en vint du rivage More, Qui plus noirs & plus laids encore, Faisoient peur aux pet.i.ts enfans; Il en debarque & la Cour en abonde.

Mais nul Prince, nul Potentat, N'y parut avec tant d'eclat Que le Pere de l'Epousee, Qui d'elle autrefois amoureux Avoit avec le temps purifie les feux Dont son ame etoit embrasee, Il en avoit banni tout desir criminel Et de cette odieuse flamme Le peu qui restoit dans son ame N'en rendoit que plus vif son amour paternel.

Des qu'il la vit, que benit soit le Ciel Qui veut bien que je te revoye, Ma chere enfant, dit-il, &, tout pleurant de joye Courut tendrement l'embra.s.ser; Chacun a son bonheur voulut s'interesser, Et le futur Espoux etoit ravi d'apprendre Que d'un Roi si puissant il devenoit le Gendre.

Dans ce moment la Maraine arriva Qui raconta toute l'histoire, Et par son recit acheva De combler Peau d'Asne de gloire.

Il n'est pas malaise de voir Que le but de ce conte est qu'un Enfant apprenne Qu'il vaut mieux s'exposer a la plus rude peine Que de manquer a son devoir.

Que la Vertu peut etre infortunee Mais qu'elle est toujours couronnee.

Que contre un fol amour & ses fougueux transports La Raison la plus forte est une foible digue, Et qu'il n'est point de si riches thresors Dont un Amant ne soit prodigue.

Que de l'eau claire & du pain bis Suffisent pour la nourriture De toute jeune Creature, Pourvu qu'elle ait de beaux habits.

Que sous le Ciel il n'est point de femelle Qui ne s'imagine etre belle, Et qui souvent ne s'imagine encor Que si des trois Beautez la fameuse querelle, S'etoit demelee avec elle Elle auroit eu la pomme d'or.