Essays in Radical Empiricism - Part 11
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Part 11

Pourquoi la reclamons-nous si fortement, que celui qui la nierait nous semblerait plutot un mauvais plaisant qu'un penseur? N'est-ce pas pour sauver ce fait indeniable que le contenu de l'experience n'a pas seulement une existence propre et comme immanente et intrinseque, mais que chaque partie de ce contenu deteint pour ainsi dire sur ses voisines, rend compte d'elle-meme a d'autres, sort en quelque sorte de soi pour etre sue et qu'ainsi tout le champ de l'experience se trouve etre transparent de part en part, ou const.i.tue comme un es.p.a.ce qui serait rempli de miroirs?

Cette bilateralite des parties de l'experience,--a savoir d'une part, qu'elles _sont_ avec des qualites propres; d'autre part, qu'elles sont rapportees a d'autres parties et _sues_--l'opinion regnante la constate et l'explique par un dualisme fondamental de const.i.tution appartenant a chaque morceau d'experience en propre. Dans cette feuille de papier il n'y a pas seulement, dit-on, le contenu, blancheur, minceur, etc., mais il y a ce second fait de la conscience de cette blancheur et de cette minceur. Cette fonction d'etre "rapporte," de faire partie de la trame entiere d'une experience plus comprehensive, on l'erige en fait ontologique, et on loge ce fait dans l'interieur meme du papier, en l'accouplant a sa blancheur et a sa minceur. Ce n'est pas un rapport extrinseque qu'on suppose, c'est une moitie du phenomene meme.

Je crois qu'en somme on se represente la realite comme const.i.tuee de la facon dont sont faites les "couleurs" qui nous servent a la peinture. Il y a d'abord des matieres colorantes qui repondent au contenu, et il y a un vehicule, huile ou colle, qui les tient en suspension et qui repond a la conscience. C'est un dualisme complet, ou, en employant certains procedes, on peut separer chaque element de l'autre par voie de soustraction. C'est ainsi qu'on nous a.s.sure qu'en faisant un grand effort d'abstraction introspective, nous pouvons saisir notre conscience sur le vif, comme une activite spirituelle pure, en negligeant a peu pres completement les matieres qu'a un moment donne elle eclaire.

Maintenant je vous demande si on ne pourrait pas tout aussi bien renverser absolument cette maniere de voir. Supposons, en effet, que la realite premiere soit de nature neutre, et appelons-la par quelque nom encore ambigu, comme _phenomene_, _donne_, _Vorfindung_. Moi-meme j'en parle volontiers au pluriel, et je lui donne le nom d'_experiences pures_. Ce sera un monisme, si vous voulez, mais un monisme tout a fait rudimentaire et absolument oppose au soi-disant monisme bilateral du positivisme scientifique ou spinoziste.

Ces experiences pures existent et se succedent, entrent dans des rapports infiniment varies les unes avec les autres, rapports qui sont eux-memes des parties essentielles de la trame des experiences. Il y a "Conscience" de ces rapports au meme t.i.tre qu'il y a "Conscience" de leurs termes. Il en resulte que des _groupes_ d'experiences se font remarquer et distinguer, et qu'une seule et meme experience, vu la grande variete de ses rapports, peut jouer un role dans plusieurs groupes a la fois. C'est ainsi que dans un certain contexte de voisins, elle serait cla.s.see comme un phenomene physique, tandis que dans un autre entourage elle figurerait comme un fait de conscience, a peu pres comme une meme particule d'encre peut appartenir simultanement a deux lignes, l'une verticale, l'autre horizontale, pourvu qu'elle soit situee a leur intersection.

Prenons, pour fixer nos idees, l'experience que nous avons a ce moment du local ou nous sommes, de ces murailles, de cette table, de ces chaises, de cet es.p.a.ce. Dans cette experience pleine, concrete et indivise, telle qu'elle est la, donnee, le monde physique objectif et le monde interieur et personnel de chacun de nous se rencontrent et se fusionnent comme des lignes se fusionnent a leur intersection. Comme chose physique, cette salle a des rapports avec tout le reste du batiment, batiment que nous autres nous ne connaissons et ne connaitrons pas. Elle doit son existence a toute une histoire de financiers, d'architectes, d'ouvriers. Elle pese sur le sol; elle durera indefiniment dans le temps; si le feu y eclatait, les chaises et la table qu'elle contient seraient vite reduites en cendres.

Comme experience personnelle, au contraire, comme chose "rapportee,"

connue, consciente, cette salle a de tout autres tenants et aboutissants. Ses antecedents ne sont pas des ouvriers, ce sont nos pensees respectives de tout a l'heure. Bientot elle ne figurera que comme un fait fugitif dans nos biographies, a.s.socie a d'agreables souvenirs. Comme experience psychique, elle n'a aucun poids, son ameublement n'est pas combustible. Elle n'exerce de force physique que sur nos seuls cerveaux, et beaucoup d'entre nous nient encore cette influence; tandis que la salle physique est en rapport d'influence physique avec tout le reste du monde.

Et pourtant c'est de la meme salle absolument qu'il s'agit dans les deux cas. Tant que nous ne faisons pas de physique speculative, tant que nous nous placons dans le sens commun, c'est la salle vue et sentie qui est bien la salle physique. De quoi parlons-nous donc si ce n'est de _cela_, de cette meme partie de la nature materielle que tous nos esprits, a ce meme moment, embra.s.sent, qui entre telle quelle dans l'experience actuelle et intime de chacun de nous, et que notre souvenir regardera toujours comme une partie integrante de notre histoire. C'est absolument une meme etoffe qui figure simultanement, selon le contexte que l'on considere, comme fait materiel et physique, ou comme fait de conscience intime.

Je crois donc qu'on ne saurait traiter conscience et matiere comme etant d'essence disparate. On n'obtient ni l'une ni l'autre par soustraction, en negligeant chaque fois l'autre moitie d'une experience de composition double. Les experiences sont au contraire primitivement de nature plutot simple. Elles _deviennent_ conscientes dans leur entier, elles _deviennent_ physiques dans leur entier; et c'est _par voie d'addition_ que ce resultat se realise. Pour autant que des experiences se prolongent dans le temps, entrent dans des rapports d'influence physique, se brisant, se chauffant, s'eclairant, etc., mutuellement, nous en faisons un groupe a part que nous appelons le monde physique.

Pour autant, au contraire, qu'elles sont fugitives, inertes physiquement, que leur succession ne suit pas d'ordre determine, mais semble plutot obeir a des caprices emotifs, nous en faisons un autre groupe que nous appelons le monde psychique. C'est en entrant a present dans un grand nombre de ces groupes psychiques que cette salle devient maintenant chose consciente, chose rapportee, chose sue. En faisant desormais partie de nos biographies respectives, elle ne sera pas suivie de cette sotte et monotone repet.i.tion d'elle-meme dans le temps qui caracterise son existence physique. Elle sera suivie, au contraire, par d'autres experiences qui seront discontinues avec elle, ou qui auront ce genre tout particulier de continuite que nous appelons souvenir. Demain, elle aura eu sa place dans chacun de nos pa.s.ses; mais les presents divers auxquels tous ces pa.s.ses seront lies demain seront bien differents du present dont cette salle jouira demain comme ent.i.te physique.

Les deux genres de groupes sont formes d'experiences, mais les rapports des experiences entre elles different d'un groupe a l'autre. C'est donc par addition d'autres phenomenes qu'un phenomene donne devient conscient ou connu, ce n'est pas par un dedoublement d'essence interieure. La connaissance des choses leur _survient_, elle ne leur est pas immanente.

Ce n'est le fait ni d'un moi transcendental, ni d'une _Bewusstheit_ ou acte de conscience qui les animerait chacune. _Elles se connaissent l'une l'autre_, ou plutot il y en a qui connaissent les autres; et le rapport que nous nommons connaissance n'est lui-meme, dans beaucoup de cas, qu'une suite d'experiences intermediaires parfaitement susceptibles d'etre decrites en termes concrets. Il n'est nullement le mystere transcendant ou se sont complus tant de philosophes.

Mais ceci nous menerait beaucoup trop loin. Je ne puis entrer ici dans tous les replis de la theorie de la connaissance, ou de ce que, vous autres Italiens, vous appelez la gnoseologie. Je dois me contenter de ces remarques ecourtees, ou simples suggestions, qui sont, je le crains, encore bien obscures faute des developpements necessaires.

Permettez donc que je me resume--trop sommairement, et en style dogmatique--dans les six theses suivantes:

_1^o La Conscience, telle qu'on l'entend ordinairement, n'existe pas, pas plus que la Matiere, a laquelle Berkeley a donne le coup de grace;_

_2^o Ce qui existe et forme la part de verite que le mot de "Conscience"

recouvre, c'est la susceptibilite que possedent les parties de l'experience d'etre rapportees ou connues;_

_3^o Cette susceptibilite s'explique par le fait que certaines experiences peuvent mener les unes aux autres par des experiences intermediaires nettement caracterisees, de telle sorte que les unes se trouvent jouer le role de choses connues, les autres celui de sujets connaissants;_

_4^o On peut parfaitement definir ces deux roles sans sortir de la trame de l'experience meme, et sans invoquer rien de transcendant;_

_5^o Les attributions sujet et objet, represente et representatif, chose et pensee, signifient donc une distinction pratique qui est de la derniere importance, mais qui est d'ordre_ FONCTIONNEL _seulement, et nullement ontologique comme le dualisme cla.s.sique se la represente;_

_6^o En fin de compte, les choses et les pensees ne sont point foncierement heterogenes, mais elles sont faites d'une meme etoffe, etoffe qu'on ne peut definir comme telle, mais seulement eprouver, et que l'on peut nommer, si on veut, l'etoffe de l'experience en general._

FOOTNOTES:

[116] [A communication made (in French) at the Fifth International Congress of Psychology, in Rome, April 30, 1905. It is reprinted from the _Archives de Psychologie_, vol. V, No. 17, June, 1905.] Cette communication est le resume, forcement tres condense, de vues que l'auteur a exposees, au cours de ces derniers mois, en une serie d'articles publies dans le _Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods_, 1904 et 1905. [The series of articles referred to is reprinted above. ED.]

[117] _The Sense of Beauty_, pp. 44 ff.

[118] _The Life of Reason_ [vol. I, "Reason in Common Sense," p. 142].

IX

IS RADICAL EMPIRICISM SOLIPSISTIC?[119]

If all the criticisms which the humanistic _Weltanschauung_ is receiving were as _sachgema.s.s_ as Mr. Bode's,[120] the truth of the matter would more rapidly clear up. Not only is it excellently well written, but it brings its own point of view out clearly, and admits of a perfectly straight reply.

The argument (unless I fail to catch it) can be expressed as follows:

If a series of experiences be supposed, no one of which is endowed immediately with the self-transcendent function of reference to a reality beyond itself, no motive will occur within the series for supposing anything beyond it to exist. It will remain subjective, and contentedly subjective, both as a whole and in its several parts.

Radical empiricism, trying, as it does, to account for objective knowledge by means of such a series, egregiously fails. It can not explain how the notion of a physical order, as distinguished from a subjectively biographical order, of experiences, ever arose.

It pretends to explain the notion of a physical order, but does so by playing fast and loose with the concept of objective reference. On the one hand, it denies that such reference implies self-transcendency on the part of any one experience; on the other hand, it claims that experiences _point_. But, critically considered, there can be no pointing unless self-transcendency be also allowed. The conjunctive function of pointing, as I have a.s.sumed it, is, according to my critic, vitiated by the fallacy of attaching a bilateral relation to a term _a quo_, as if it could stick out substantively and maintain itself in existence in advance of the term _ad quem_ which is equally required for it to be a concretely experienced fact. If the relation be made concrete, the term _ad quem_ is involved, which would mean (if I succeed in apprehending Mr. Bode rightly) that this latter term, although not empirically there, is yet _noetically_ there, in advance--in other words it would mean that any experience that 'points' must already have transcended itself, in the ordinary 'epistemological' sense of the word transcend.

Something like this, if I understand Mr. Bode's text, is the upshot of his state of mind. It is a reasonable sounding state of mind, but it is exactly the state of mind which radical empiricism, by its doctrine of the reality of conjunctive relations, seeks to dispel. I very much fear--so difficult does mutual understanding seem in these exalted regions--that my able critic has failed to understand that doctrine as it is meant to be understood. I suspect that he performs on all these conjunctive relations (of which the aforesaid 'pointing' is only one) the usual rationalistic act of subst.i.tution--he takes them not as they are given in their first intention, as parts const.i.tutive of experience's living flow, but only as they appear in retrospect, each fixed as a determinate object of conception, static, therefore, and contained within itself.

Against this rationalistic tendency to treat experience as chopped up into discontinuous static objects, radical empiricism protests. It insists on taking conjunctions at their 'face-value,' just as they come.

Consider, for example, such conjunctions as 'and,' 'with,' 'near,'

'_plus_,' 'towards.' While we live in such conjunctions our state is one of _transition_ in the most literal sense. We are expectant of a 'more'

to come, and before the more _has_ come, the transition, nevertheless, is directed _towards_ it. I fail otherwise to see how, if one kind of more comes, there should be satisfaction and feeling of fulfilment; but disappointment if the more comes in another shape. One more will continue, another more will arrest or deflect the direction, in which our experience is moving even now. We can not, it is true, _name_ our different living 'ands' or 'withs' except by naming the different terms towards which they are moving us, but we _live_ their specifications and differences before those terms explicitly arrive. Thus, though the various 'ands' are all bilateral relations, each requiring a term _ad quem_ to define it when viewed in retrospect and articulately conceived, yet in its living moment any one of them may be treated as if it 'stuck out' from its term _a quo_ and pointed in a special direction, much as a compa.s.s-needle (to use Mr. Bode's excellent simile) points at the pole, even though it stirs not from its box.

In Professor Hoffding's ma.s.sive little article in _The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods_,[121] he quotes a saying of Kierkegaard's to the effect that we live forwards, but we understand backwards. Understanding backwards is, it must be confessed, a very frequent weakness of philosophers, both of the rationalistic and of the ordinary empiricist type. Radical empiricism alone insists on understanding forwards also, and refuses to subst.i.tute static concepts of the understanding for transitions in our moving life. A logic similar to that which my critic seems to employ here should, it seems to me, forbid him to say that our present is, while present, directed towards our future, or that any physical movement can have direction until its goal is actually reached.

At this point does it not seem as if the quarrel about self-transcendency in knowledge might drop? Is it not a purely verbal dispute? Call it self-transcendency or call it pointing, whichever you like--it makes no difference so long as real transitions towards real goals are admitted as things given _in_ experience, and among experience's most indefeasible parts. Radical empiricism, unable to close its eyes to the transitions caught _in actu_, accounts for the self-transcendency or the pointing (whichever you may call it) as a process that occurs within experience, as an empirically mediated thing of which a perfectly definite description can be given. 'Epistemology,'

on the other hand, denies this; and pretends that the self-transcendency is unmediated or, if mediated, then mediated in a super-empirical world.

To justify this pretension, epistemology has first to transform all our conjunctions into static objects, and this, I submit, is an absolutely arbitrary act. But in spite of Mr. Bode's mal-treatment of conjunctions, as I understand them--and as I understand him--I believe that at bottom we are fighting for nothing different, but are both defending the same continuities of experience in different forms of words.

There are other criticisms in the article in question, but, as this seems the most vital one, I will for the present, at any rate, leave them untouched.

FOOTNOTES:

[119] [Reprinted from _The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods_, vol. II, No. 9, April 27, 1905.]

[120] [B. H. Bode: "'Pure Experience' and the External World," _Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods_, vol. II, 1905, p.

128.]

[121] Vol. II, [1905], pp. 85-92.

X

MR. PITKIN'S REFUTATION OF 'RADICAL EMPIRICISM'[122]